[KINO] – Les secrets du tableau de Vigo (Ghostbusters II)

[KINO] – Les secrets du tableau de Vigo (Ghostbusters II)

Beaucoup parmi celles et ceux qui ont visionné à un jeune âge le film Ghostbusters II gardent un souvenir traumatisant du tableau dépeignant Vigo von Homburg Deutschendorf, surnommé la Tristesse de Moldavie, Vigo le Cruel, Vigo le Profane, Vigo le Boucher … ou plus simplement Vigo des Carpathes !

Mais ce que vous ignorez sans doute, c’est que l’histoire de la conception et de la confection de ce tableau est absolument passionnante !
Je vous propose de la retracer ci-dessous, à partir du témoignage recueilli par le magazine Mental Floss en 2015 de celui qui est à l’origine de ce chef d’œuvre : l’artiste Glen Eytchison.


En ce tout début d’année 1989, Glen Eytchison est un jeune artiste freelance basé dans le Sud de la Californie, spécialisé dans le théâtre et qui commençait à se faire un nom depuis qu’il était devenu directeur de la Pageant of the Masters de Laguna Beach – un spectacle mettant en scène des « tableaux vivants » (en français dans le texte !), c’est à dire des représentations figées exécutés par des comédiens grimés et costumés et qui selon l’éclairage donnaient soit l’impression de peintures à l’huile plates soit au contraire de véritables saynètes théâtrales. Quel ne fut pas son étonnement quand la prestigieuse maison d’effets visuels de George Lucas, ILM (pour Industrial Light & Magic), l’appelle à son studio !
En effet, pour les besoins du film Ghostbusters II dont la sortie était planifiée pour le mois de juin, le réalisateur Ivan Reitman a demandé à ce que soit créé un tableau immense de l’antagoniste principal, tableau qui était amené à « prendre vie » dans le scénario. Un tableau vivant ? Ah bah oui, ça se tient finalement…
Par ailleurs, Eytchison était fan du premier opus et rêvait depuis des années de collaborer avec Dennis Muren, le superviseur des effets visuels chez ILM.

Eytchison se rendit tout d’abord au siège d’ILM, à San Rafael, mais avec l’intention de décliner l’offre : après tout, le Pageant of the Masters, aussi sophistiqué fût-il, travaille esentiellement sur les jeux de lumière et il avait peur que le résultat passe moins bien sur pellicule. « C’est tout ce que vous arrivez à faire au prix où l’on vous paye ?! » , telle était sa hantise.
Et c’est Denis Muren qui vint lui-même le rassurer : ‘Il ne fait aucun doute que ce sera difficile, mais je sais que vous savez déjà comment procéder. Ne perdons pas plus de temps, c’est vous que nous voulons. »
Eytchison signe alors officiellement son contrat et jette un œil au script.

Commence donc un mois de travail intense où Eytchison et son équipe se démultiplièrent pour tenter de créer un tableau qui terrifiera plusieurs générations de spectateurs, en se reposant notamment sur plusieurs prises de vue réelles de Wilhelm von Hombourg, l’acteur qui interprète la Tristesse de Moldavie. Toutefois, il n’avait aucune idée de combien de temps d’écran allait bénéficier sa création, ce qui l’a poussé à la rendre la plus marquante possible. Les directives d’ILM étaient claires : « convaincant en tant que peinture plate dans les premières scènes où il est en cours de restauration dans le musée mais aussi lorsqu’il prendra vie et commencera à prononcer ses lignes. Nous voulons que cette transition soit un moment vraiment choquant. »
En premier lieu, le tableau donc. Certains des meilleurs artistes d’ILM avaient déjà produit des peintures, mais elles avaient toutes été rejetées par Ivan Reitman, qui leur reprochaient de faire trop « Conan le Barbabre ». La première directive consistait donc à fournir une composition qui fonctionnerait pour Ivan, pour l’équipe technique mais aussi pour (et avec) Wilhelm von Homburg.
Eytchison savait qu’ils devaient démarrer tout de suite s’ils voulaient finir à temps. Il a donc demandé à ILM d’envoyer un spécialiste du matte painting chez lui dans le sud de la Californie, tandis que le département des costumes du Pageant of the Masters consultait tous les livres de leur bibliothèque.
« Nous avons passé plusieurs jours à faire des recherches pour déterminer à quoi ressemblerait un seigneur de guerre des Carpates du XVIe siècle et ce qu’il porterait », explique Eytchison.
« Et pendant qu’ils regardaient les costumes, je parcourais des livres de peintres de cette époque et de cette région du monde afin que nous puissions correspondre à l’apparence et à la sensation de l’époque. »

Après que l’équipe a compilé un certain nombre d’échantillons, la prochaine étape logique aurait été de passer quelques jours à créer une peinture pour la montrer à Ivan Reitman, mais Eytchison a décidé de faire quelque chose d’un peu différent. « Sur une toile à fond noir, j’ai commencé à peindre un arrière-plan dessus. Ensuite, nous avons peint plusieurs versions de chaque élément – ​​le ciel, les arbres, le château en feu, le trône de crânes – sur des couches séparées d’acétate (calque satiné).»

Lors de la réunion de projection de la première version de bande-annonce en présence du producteur exécutif Michael C. Gross, Eytchison présente ainsi sa version « mille-feuilles » du tableau : « Voici ce qu’un seigneur de guerre des Carpates du XVIe siècle porterait au combat « .
Le producteur répond qu’il aime bien ce qu’il voit mais il trouve que l’arbre jure avec le reste. Eytchison n’a alors plus qu’à retirer la couche de cellulo de l’arbre et la remplacer par une autre. Reitman demande alors à avoir l’intégralité des layers et essaie plusieurs combinaisons. Puis il aboutit à une structure qui lui plait totalement et s’accorde avec Eytchison. La réunion n’a duré en tout que 15 minutes !

Eytchison contacte alors un peintre nommé Lou Police , qui a déjà travaillé pour de grands studios comme Warner Bros ou Walt Disney Studios. « Nous n’avions besoin que d’une rencontre avec Lou. Il a immédiatement compris ce que nous recherchions. J’ai insisté sur les caractéristiques qui avaient beaucoup plu à Reitman : le ciel, la patine sur l’armure et les crânes. Je lui également confié la pile de documents extraits des livres d’art consultés par mon équipe avec plusieurs directives encerclées et/ou fléchées et il a dit: ‘Je sais exactement ce que vous voulez.' »
Quelques jours plus tard, Eytchison avait en main le tableau de Vigo les Carpates peaufiné par Lou Police. Il l’a photographié et l’a envoyé à ILM et Reitman, qui l’ont immédiatement approuvé. Les choses avaient bien commencé… mais ce n’était que le début.


Tout d’abord, il y a une énorme différence entre la création d’une peinture vivante sur scène, où la personne la plus proche se trouve à 15-20 mètres, et la création d’une peinture pour un film, où la peinture est projetée sur un immense écran de cinéma avec le public assis juste en dessous.
« On va voir chaque pore de son visage, chaque imperfection », se dit Eytchison, très inquiet.
C’est pourquoi il savait que la peinture de Police, aussi bonne soit-elle, ne correspondrait jamais exactement au visage de l’acteur von Homburg. Ils ne seraient jamais en mesure de basculer entre la peinture et le décor pour les scènes où Vigo parle à Janosz Poha (joué par Peter MacNicol) ou lorsqu’il sortira de la peinture.
Heureusement, Eytchison avait un plan de secours : la peinture de Lou Police serait bien utilisée comme référence, mais lui et son équipe construiraient le décor, y placeraient von Homburg en tant que Vigo et captureraient le tout. Ensuite, ils agrandiraient la photo à la taille réelle et la traiteraient de manière à ce qu’elle ressemble à une peinture à l’huile « De cette façon, quand il a pris vie, tout ce que j’avais à faire était de reprendre l’existant au lieu de prendre une peinture d’un gars et d’essayer de la faire correspondre exactement. »
ILM accepte le plan et Eytchison et son équipe de reconstitution historique s’est mise au travail. Plutôt que d’envoyer tout le monde à San Rafael (lieu de tournage du film), ce qui aurait constitué un gouffre financier, Eytchison a choisi de construire le décor dans le sud de la Californie puis de l’expédier à Burbank.

Là encore, les événements s’enchaînent très rapidement. Eytchison demande à ILM de lui envoyer un moulage du corps de von Homburg. Celui-ci arrive en 3 morceaux que l’équipe d’Eytchison réassemble dans son atelier. Pendant que Skipper Skeoch et Marci O’Malley confectionnaient le costume à l’aide du mannequin, Richard Hill concevait le décor, puis le construisait avec l’aide de John Clancy. Simultanément, Judy Parker créait les éléments structurels de l’ensemble, comme les crânes sculptés en polystyrène. L’arrière-plan a été mis en couleur et lumière par David Rymar et Leslie Turnbull, utilisant une texture similaire à celle des éléments de premier plan, ainsi que celle du costume et de la peau, afin d’uniformiser la patine et le rendu du tout. Diane Challis Davy a pour sa part assuré une supervision supplémentaire de la production physique.
Tout ceci prit environ 2 semaines à construire puis fut réexpédié chez ILM, où les équipes installèrent le tout sous une tente légère, dans le but d’éliminer les ombrages et rendre le décor aussi plat que possible.
Puis à l’arrivée de l’acteur von Homburg dans les studios de tournage, le maquilleur d’ILM Mike Smithson lui applique du maquillage et des prothèses sur son visage (conçues avec Tim Lawrence). Ensuite, l’acteur a été inséré dans le décor, qui faisait environ 1m20 de profondeur. Et au bout d’une semaine, à coup de tests de prise de vue de Wilhelm bougeant et parlant, l’équipe aboutit à la photo qui serait agrandie et transformée en peinture à l’huile sur le plateau de tournage.

Autre spécificité : Reitman voulait que von Homburg prononce ses lignes de texte tout en restant parfaitement immobile, seule sa bouche devait bouger. Eytchison explique qu’il a utilisé plusieurs techniques pour aider l’acteur, y compris la construction d’une simple armature derrière lui pour lui donner des points de soutien, mais ce fut très difficile pour le pauvre ex-boxeur allemand. Finalement, le réalisateur optera pour la voix de Max von Sydow en post-synchronisation !
Malgré tout, Eytchison pensait que les résultats de leur sprint d’un mois pour créer l’effet étaient fantastiques. « Je suis généralement celui qui critique le plus mon travail. Mais quand nous avons vu les rushs, j’ai pensé que l’effet allait être vraiment intéressant, et avec quelques modifications en aval, nous pourrions rendre Vigo visuellement marquant. »

Toutefois, même si Eytchison semblait satisfait des test en tournage, quelque chose à ce sujet – Eytchison ne sait toujours pas exactement quoi – n’a tout simplement pas fonctionné pour Reitman.
« Ivan a changé toute la fin ! »
Le réalisateur avait en effet décidé de remplacer les scènes d’images vivantes par un effet visuel de la tête désincarnée de Vigo flottant au-dessus d’une rivière de boue. A la fin du film, le méchant ne sort pas du tableau, mais en disparaît, puis réapparaît au milieu du musée. Eytchison et son équipe n’ont pas été rappelés pour le tournage final, c’est pourquoi Vigo est si différent à la fin du film !
Pour Eytchison, de tels changements sont dans la nature inhérente de l’industrie cinématographique – et il le savait dès le départ.
« J’aurais aimé que nous ayons un peu plus de temps avec Wilhelm pour résoudre les bugs, mais j’ai réalisé que Dennis et ILM étaient face à des centaines de problèmes . Il y avait beaucoup de gens qui y travaillaient – ​​d’autres personnes occupant d’autres emplois dans d’autres départements dont les besoins devaient également être pris en compte. Et quand tout est dit et fait, vous devez faire confiance au réalisateur qui sait le mieux. »

Au bout du compte, Eytchison est fier du travail que lui et son équipe ont accompli. Sans compter l’ambiance de travail, notamment avec Dennis Muren et Ned Gorman, qui l’a convaincu de persévérer à Hollywood.



Depuis Ghostbusters II, Eytchison s’est vu confier la création de tableaux vivants pour d’autres films comme L’Associé du Diable (1997, tableau de Taylor Hackford) ou encore Wild Wild West (1999), ainsi que pour des spectacles de Broadway. Mais Vigo reste sa création la plus populaire.
« Je ne reçois des messages de fans qu’à propos de Vigo. Je fais ce métier depuis 42 ans et pourtant Vigo est la seule chose qui revient sans cesse. Je reçois plus d’attention pour Vigo que pour tout ce que j’ai fait d’autre. »


Épilogue : Les deux tableaux de Vigo des Carpates évoqués ci-dessus existent toujours. La photographie réalisée comme une peinture à l’huile est exposée fièrement dans un des couloirs de Lucasfilm à San Francisco. L’original de Lou Police est accroché dans la maison d’Ivan Reitman.

Sources
L’article de Mental Floss, mis à jour l’année dernière
Fiche imdb de Glen Heytchison
Fiche imdb de Lou Police

Crédits photos à Glen Heytchison

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