[Saint Seiya] – Les secrets de la Cloth des Gémeaux

[Saint Seiya] – Les secrets de la Cloth des Gémeaux

Les Cloths (armures de l’armée d’Athéna) comptent sans aucun doute parmi les éléments qui ont fait l’identité et le succès de la franchise Saint Seiya, en marquant aussi bien les lecteurs du manga que les téléspectateurs de l’anime (sans compter les collectionneurs de figurines ^^),

Et forcément, comme souvent avec une création artistique déstinée au grand public, les Cloths se prêtent au jeu de la comparaison: Quelle est la plus belle ? Quelle est la plus sophistiquée ? Quelle est la moins ou plus ressemblante à la constellation qu’elle représente ?

Mais qu’en pense l’auteur, Masami Kurumada ?

En 2008, il répond ainsi à une interview dans le Saint Seiya Chronicle:

Quelles furent les Cloths les plus difficiles à concevoir ?

J’arrivais toujours à finir par trouver à quoi ressembleraient les Cloths basées sur des animaux, comme celles du Lion et du Cancer. Par contre, les Cloths du genre de celle des Gémeaux ou de la Balance ont été plus problématiques, et je me suis fait beaucoup de tracas pour trouver à quoi celle des Gémeaux devrait ressembler une fois portée par Saga. Comme il apparaissait d’abord comme le mal ultime, il a fallu que j’y réfléchisse autant que je le pouvais pour parvenir à penser à un beau résultat donnant une impression de puissance.


Et donc, quelle est la Cloth qui vous plaît le plus ?

Si on me force à le dire, c’est la Gold Cloth des Gémeaux, bien qu’elles me plaisent toutes. À cette époque, les gens de Bandai étaient plutôt inquiets avec ce design, à cause bien sûr des visages sur le casque. Mais au final le résultat leur a plu.(…)

Et il est vrai qu’elle est à la fois réussie esthétiquement et intrigante dans tout ce qu’elle dégage, cette Cloth des Gémeaux !

Nous allons voir dans cet article que par un syncrétisme typique de Kurumada en général, et de Saint Seiya en particulier, cette apparence n’est en rien due au hasard, convoquant à la fois mythes grecs, symboliques hindoues et mysticisme platonicien, rien de moins !

Castor et Pollux, les Gémeaux

La constellation des Gémeaux représente les emblématiques jumeaux de la mythologie grecque Castor et Pollux, réunis sous le nom de Dioscures (« jeunes hommes divins » en grec). Mais on a déjà là un souci : il ne s’agit pas de jumeaux mais plutôt de faux jumeaux !

En effet, ils sont nés de la même mère, Léda, qui fut séduite par Zeus apparu sous la forme d’un cygne. Elle pondit alors deux oeufs (!), l’un fécondé par le roi des dieux et dont seront issus Pollux et Hélène, l’autre fécondé par l’époux légitime Tyndare et dont seront issus Castor et Clytemnestre.

Castor et Pollux mèneront des existences inséparables, prenant part aux mêmes aventures (dont l’expédition des Argonautes), si bien qu’on les représentait souvent avec leurs profils superposés sur les oeuvres d’art. Lorsque Castor meurt à la suite d’un conflit contre les jumeaux rivaux Idas et Lyncée, Pollux, inconsolable, demanda à son divin père de lui retirer son immortalité pour aller rejoindre son très cher frère dans les cieux. C’est ainsi que naquit la constellation des Gémeaux.

Castor et Pollux au Campidoglio (Rome)

A noter également que Castor et Pollux étaient originaires de Sparte, la rivale de la cité d’Athéna ! Les Gémeaux avaient déjà dans la mythologie un contentieux avec la déesse…

Si Saint Seiya fait bien évidemment référence à ce mythe via les deux visages sur la Cloth des Gémeaux (et l’existence d’un jumeau rival/ami), cela n’explique pas la forme si particulière que celle-ci revêt. En effet, nous avons vu que Castor et Pollux étaient représentés superposés et non dos à dos, le regard portant sur le même horizon, et non à l’opposé l’un de l’autre. Il va donc falloir aller chercher plus loin la référence.

Pièce de monnaie figurant Castor et Pollux

Janus (Que se crée une autre dimension !)

Une autre figure mythologique qui vient à l’esprit, c’est le dieu romain Janus. Ce dieu à double face possède de nombreuses attributions : maîtrise de la « double science » (connaissance du passé et du futur), gardien des portes, protecteur des fêtes de la nouvelle année (il donne ainsi son nom au mois de janvier), il est le dieu du passage dans l’espace-temps. Ce qui expliquerait la faculté du Saint des Gémeaux à ouvrir des portes sur d’autres dimensions, en référence à cette caractérisation divine !

Janus est bel et bien représenté avec deux visages opposés sur un même corps, Le plus souvent, ces visages sont identiques ou alors présentent une différence d’âges significative afin de symboliser sa maîtrise du temps. On a donc là une autre référence possible pour le casque des Gémeaux.

Quant à l’opposition entre les visages souriant et grimaçant, j’y vois plus une référence à la tradition du théâtre antique grec, où l’on retrouve l’opposition entre la comédie et la tragédie, les deux genres opposés de représentations. Et le théâtre tient lieu de référence pertinente pour le Saint de sgémeaux, maître en illusions et vivant lui-même dans une illusion tragi-comique, car comme l’écrivait Jules Renard : « Toutes les pièces de théâtre ont fini par créer un monde à côté de la vie, qui se fait illusion à lui-même et finit par se croire vivant. »

Les visages de la comédie et de la tragédie

Ceci permet d’illustrer le caractère manichéen (opposition Bien/Mal) que souhaitait insuffler Kurumada à la Cloth des Gémeaux, en en faisant une synthèse entre pulsions de guerre et aspirations à la paix.

Quant à la forme du casque, tout comme cela a été discuté sur le forum puis le wiki de SaintSeiyaPedia il y a plusieurs années, il se peut fort bien qu’elle ait été influencée par la tête du robot Mazinger Z, de la série éponyme de 1971.

En effet, la forme si caractéristique du couvre-chef est à nulle autre pareille. Par ailleurs, Mazinger Z est souvent décrit dans l’histoire comme étant « dieu ou diable » (神か悪魔か!?kami ka akuma ka !? ), accroche qui est également utilisée pour désigner le Pope usurpateur dans Saint Seiya. En outre le nom même de Mazinger est composé des mots « ma » (le mal) et « shin »(dieu).

On notera également que l’antagoniste le plus présent dans Mazinger Z est le Baron Ashura, au service du Dr Hell. Ashura/Shura avait été un temps le nom envisagé par Kurumada pour baptiser le Saint des Gémeaux. De plus, le Baron Ashura est un être mi-homme, mi-femme.

Or, Kurumada a révélé dans le Saint Cloth Chronicle l’origine du nom de Saga :

« Le nom de celui ci vient de ce qui sépare naturellement les humains en deux groupes égaux, le sexe. »

En japonais, le kanji représentant le sexe, dans le sens « mâle/femelle » est 性, qui dans sa prononciation kun’yomi peut se lire « saga/さが ».
Et c’est ainsi que l’on a un indice probant vers la véritable référence de la Cloth des Gémeaux : l’androgyne du Banquet de Platon !

L’androgyne du Banquet de Platon

Le Banquet (en grec ancien Συμπόσιον, Sumpósion) est un texte de Platon écrit aux environs de 380 av. J.-C. Il est constitué principalement d’une longue série de discours portant sur la nature et les qualités de l’amour. Parmi eux, on retrouve le discours d’Aristophane, qui fait l’éloge d’Eros, l’amour absolu, et qui expose ainsi le mythe des humains doubles séparés.

« Qu’était la nature humaine, et que lui est-il arrivé ? Notre nature était autrefois différente : il y avait trois catégories d’êtres humains, le mâle, la femelle, et l’androgyne.
De plus, la forme humaine était celle d’une sphère avec quatre mains, quatre jambes et deux visages, une tête unique et quatre oreilles, deux sexes, etc. Les humains se déplaçaient en avant ou en arrière, et, pour courir, ils faisaient des révolutions sur leurs huit membres. Le mâle était un enfant du Soleil, la femelle de la Terre, et l’androgyne de la Lune. Leur force et leur orgueil étaient immenses et ils s’en prirent aux dieux. »

Zeus trouva un moyen de les affaiblir sans les tuer, ne voulant pas anéantir la race comme il avait pu le faire avec les Titans : il les coupa en deux comme un poissonnier coupe les poissons. Et chaque morceau, regrettant sa moitié, tente depuis de s’unir à elle (c’est l’origine de l’expression un brin désuète « chercher sa moitié » ou « avoir trouvé sa moitié »).

Représentation sur une céramique de l’androgyne évoqué(e) dans le Banquet de Platon

La réprésentation de ces androgynes à quatre bras est clairement la source d’inspiration de la Cloth des Gémeaux et fait écho à l’origine même du nom de Saga ! Incroyable d’avoir du Platon cité métaphoriquement dans Saint Seiya.

Kurumada ayant pris l’habitude de ne dessiner que des Cloths sans jambe (en mode buste antique) pour les constellations figurant des personnages et non des animaux, il a ainsi utilisé les protections des jambes pour en faire une deuxième paire de bras pour la Cloth. Du pur génie allégorique, esthétique et mythologique.

Mais on ne s’arrêtera pas là pour les références de cette Cloth !

Menus détails détaillés par le menu

Outre le casque dont nous avons vu les échos plus haut, il y a également deux détails dans la Cloth des Gémeaux qui méritent que l’on s’attarde dessus tellement elles sont le signe du soin apporté à sa conception.

En premier lieu, les épaulettes, bien à plat avec des protections imposantes au niveau des clavicules. Ceci n’est pas sans rappeler les drapés des membres du commandement dans les armées antiques, les haut gradés bénéficiant d’armures plus couvrantes que le troufion de base. Drapés souvent réhaussés d’une cape comme en témoigne également le col très prononcé de la Cloth ! Cet aspect est d’ailleurs bien plus évident avec Paradox des Gémeaux, le personnage de Saint Seiya Omega, où les protections métallisées ont tout simplement laissé place à ces fameux drapés originaux.

En second lieu, la partie qui recouvre la taille n’est pas sans évoquer le pagne qu’arborait les rois et pharaons égyptiens, avec cette ceinture aux parements recouvrant le sexe dans un ensemble évoquant les rayons du Dieu-Soleil dardant la Terre des humains. Comment voulez-vous que l’ambition ne monte pas à la tête du Saint des Gémeaux avec tout ça ?!

Bon, après autant de référence, vous pensiez avoir fait le tour de cette Cloth ? Hé bien, pas du tout… le meilleur reste encore à venir ! Dans ce qui contribue à conférer une « inquiétante étrangeté » à la Cloth des Gémeaux, il a également les poses des quatre mains adoptées par cette armure si non-conventionnelle. Et pour cela, il va falloir basculer vers l’Inde et les 33 millions de dieux de l’hindouisme !

Les mudrās

Je vous rassure, on ne va pas redescendre l’intégralité du panthéon hindou !

Par contre, il est très intéressant de signaler que les principaux dieux sont souvent représentés avec quatre (voire plus) bras. Dans la symbolique hindoue, cela sert à souligner la suprémacie de leurs pouvoirs, Que ce soit Vishnu, Lakshmi, Ganesh ou encore Kali, cette représentation avec plusieurs bras sert également à souligner la diversité de ces pouvoirs et attributions divines. A chaque main correspond un message particulier, un attribut caractéristique, un pouvoir discriminant.

Il en est de même pour la Cloth des Gémeaux pour laquelle chacune des 4 mains adopte une pose différente et signifiante comme nous allons le voir.

La clé de lecture de ces symboles réside dans les mudrās (मुद्रा), terme sanskrit qui signifie ‘sceau’ ou ‘geste rituel’. La mudrā désigne une position codifiée et symbolique des mains d’une personne (danseur, yogi, pratiquant du bouddhisme). L’origine des mudrās est très ancienne et se rattache à la culture védique.

Il existe un nombre important de mudrās, exécutées avec une seule main ou les deux, leur utilisation correspondant à l’expression d’un sentiment ou d’une situation déterminée. On trouve une combinaison de différentes mudrās permettant une infinité d’expressions qui sont principalement utilisées pour la danse.

La Cloth des Gémeaux arbore ainsi 4 mudrās dont allons détailler la signification.

Petite remarque préliminaire, la version anime de la Cloth est déséquilibrée : il y a 3 mains droites et 1 main gauche ! (Référez-vous aux pouces !) Directement inspiré par le schéma de Kurumada, Araki a commis une erreur très compréhensible : en effet, dans le manga, le poing fermé cache quelque peu le pouce qui indique qu’il s’agit d’un poing gauche. Cette bévue a été corrigée pour les goodies (notamment les figurines Saint Cloth Series puis Saint Cloth Myth).

Si on reprend les poses exécutées par notre armure dorée, on s’aperçoit que l’on a les mudrās suivants :

Chandrakala ( du sanskrit चन्द्रकला, littéralement « doigt de Lune ») : il s’agit d’une pose appelant à l’offensive, voire à la guerre. Elle figure une arme (épée ou lance le plus souvent).

Mushti (du sanskrit मुष्टि qui signifie « poing ») : appel au combat

Padmakosha (du sanskrit पद्मकोश , littéralement « bouton de lotus ») : appel au calme, à la paix et à l’harmonie avec la nature

Karana (du sanskrit कारण, « cause ») : appel à l’amour de soi et des autres en exorcisant tous les démons (extérieurs comme intérieurs)

On voit ainsi que les mains du côté « méchant » de la Cloth revêtent un caractère belliqueux et négatifs, tandis que les mains attribuées au côté « gentil » de la Cloth adoptent une démarche positive et bénéfique d’acceptation et de justice. On a ainsi tout l’antagonisme intérieur du signe symbolisé dans cette pose ! Quel soin du détail, ne trouvez-vous pas ? Franchement ?

Conclusion

Voilà pour cette exploration presque exhaustive de cette Cloth ô combien inspirante. Sans doute avez-vous déjà remarqué la plupart des points mentionnés ci-dessus mais j’espère sincèrement que vous aurez pris beaucoup de plaisir à explorer les inspirations de Kurumada et que vous comprendrez mieux pourquoi et comment il s’est fait « beaucoup de tracas » 😉

Texte de Laïd Seghir

2 réflexions au sujet de « [Saint Seiya] – Les secrets de la Cloth des Gémeaux »

  1. Hey, merci pour cet article ! C’est moi où il est sacrément plus complet que la version initiale présente sur notre bonne vieille « morue cosmique » ? Les mudras, j’étais totalement passée à côté et c’est tout à fait fascinant de voir jusqu’où Kurumada a poussé le détail. J’aime particulièrement cette armure pour la symbolique parfaite de la notion d’Equilibre qu’elle représente et ton article le prouve avec brio. Encore merci.

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