Le Kurumada-bashing, une malheureuse spécificité française

Le Kurumada-bashing, une malheureuse spécificité française

Introduction

« KURUMADA ne sait pas dessiner, d’ailleurs il a des assistants qui font tout pour lui », « KURUMADA n’est pas réellement à l’origine de Saint Seiya », « KURUMADA est un obscur mangaka pas du tout respecté ni reconnu dans le milieu, une pure escroquerie », « C’est un gros beauf aviné fan de catch, il n’a rien d’un intellectuel », « Ce mec est un misogyne et écrase les femmes qui lui font de l’ombre », « C’est de sa faute si le revival de Saint Seiya a merdé », « Il a fait virer Yamauchi de la TOEI», « Il a saboté la série Lost Canvas par jalousie », « Next Dimension est une daube inutile pour planter un couteau dans le dos de Teshirogi, qu’il conchie à outrance»…

Pour quiconque traîne dans le fandom français de Saint Seiya, on voit que KURUMADA prend cher, très cher, trop cher ! Il y a lieu de s’interroger sur cette haine recuite focalisée sur le personnage et qui ne semble être partagée que par la France. En effet, comme nous le verrons par la suite, c’est à coup de fake news et d’extrapolations douteuses générées par une fanbase qui n’écoutait que ce qu’elle avait envie de croire, sans discernement et sans recoupe d’informations, que l’on en est arrivé là. Une désinformation savamment entretenue, un seum qui fait office de moteur pour la partie la plus toxique des fans, bref que du bonheur quand il s’agit d’échanger sur le sujet sur les réseaux sociaux.

En premier lieu, pour bien déconstruire les préjugés, il faut s’intéresser à la vie de celui qui se retrouve sur le banc des accusés.

L’ascension de KURUMADA

Masami KURUMADA naît le 6 décembre 1953 à Tokyo. Jeune enfant curieux et sportif (il lit beaucoup et se passionne pour les arts martiaux, le base-ball et le catch), il décide à la fin du lycée de se lancer dans la carrière de mangaka alors que tous ses amis partent dans des grandes écoles. Il participera ainsi à un concours organisé par le Shônen Jump (le Hop Step Shô) mais n’ayant pas la patience d’attendre les résultats, il se rend directement au studio de l’éditeur, la Shueisha ! Le culot paye car le jeune homme se voit offrir un travail d’assistant auprès du mangaka Kô INOUE (Samourai Giant). Il propose plus tard de nouveau son histoire (Sukeban Arashi) et est publié pour la première fois en 1974. Son style s’inspire de celui de Hiroshi MOTOMIYA, très old school et où les émotions passent essentiellement à travers les yeux.

Masami KURUMADA souhaite désormais devenir une référence parmi le pool de jeunes auteurs que s’est constitué la Shueisha à la fin des années 70. Il lance alors le projet de ce qui deviendra Ring ni Kakero : un manga sportif où un frère et sa sœur tentent de grimper les échelons dans un style typiquement nekketsu. Le choix du sport se porta sur la boxe (qui lui était alors inconnue) en référence à Ashita no Joe. Mais persuadé de ne jamais pouvoir arriver à la cheville de son glorieux aîné, il décida de transposer cette histoire dans un univers fantastique où les coups des personnages auraient une portée et un impact irréalistes. On retrouve également ce qui restera une marque de fabrique de KURUMADA : la présentation de ces attaques sur une double page sur fond étoilé ou figuratif et dont le nom invoqué remplit un phylactère bien mis en évidence.

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Quasiment tout Saint Seiya est déjà la !
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Le style nekketsu de Kurumada

Le manga devint rapidement une des valeurs sûres du Weekly Shonen Jump, bien placé à chaque classement des votes des lecteurs (eh oui, la pression était déjà très forte à l’époque : on mettait les mangaka en concurrence directe les uns contre les autres). C’est un tel succès pour la Shueisha que la maison a pu financer l’ouverture  de nouveaux locaux (avec un bâtiment au nom de Kurumada) !

A la fin de Ring ni Kakero en 1981, KURUMADA avoue dans une interview que créer une œuvre après un manga aussi populaire serait très difficile. Toutefois, il propose dès 1982 la saga Fuma no Kojiro. En reprenant les bases de son précédent manga et en transformant les protagonistes en clans de ninjas, il s’assure la première place du classement annuel de 1982 (calcul sur la moyenne des classements des séries dans le magazine). L’un de ses camarades du pool d’auteurs lui transmettra d’ailleurs ses félicitations :

« Chaque semaine, quand je demandais à mon éditeur ce qui marchait dans le magazine auprès du public, il me répondait : « De loin, Ring ni Kakero » Et maintenant, c’est Fûma no Kojiro qui est en tête. Tu es surprenant, Kurumada !
Et avec ce concentré de testostérone, je veux désormais envoyer toutes les publications récentes doucereuses valdinguer au loin avec un gigantesque « Galactica Magnum ».
J’aimerais tant copier cet impact, ce style de dessin mais c’est très difficile pour moi.
Je n’ai pas 1/10ème de l’intensité requise. Je voudrais pouvoir introduire des personnages aussi sauvages que Kenzaki mais c’est compliqué, je n’arriverai jamais à le dessiner.
Kurumada, je t’en prie, continue à dessiner des manga virils. »

Le nom de ce camarade n’est autre que… Akira TORIYAMA !

Tout va bien pour KURUMADA, il s’est fait un nom dans le milieu, il est reconnu et apprécié par ses pairs (qui admirent son détachement et son empathie lorsqu’il les invite à filer du bureau pour aller boire un petit saké en fin de journée – true stories ! Ainsi, Hisashi EGUCHI évoque avec tendresse comment les escapades avec KURUMADA lui ont permis de supporter la pression infernale), appréciation réciproque malgré la concurrence exacerbée car il déclare notamment au sujet de son ami TORIYAMA :

« Imaginez un peu…. C’est un génie et j’ai besoin de faire des efforts. S’il est un œuf d’or, je suis un œuf de fer. J’ai toujours besoin de polir la surface pour éviter la rouille et perdre l’éclat. Mais je pense qu’avec efforts et application, je peux le faire briller autant que lui. »

Il peut même s’octroyer des vacances bien méritées en Europe (Paris, les Alpes suisses, les îles Éoliennes… mais pas la Grèce, à son grand regret, il n’y a jamais mis les pieds).

Malheureusement, son manga suivant, Otoko Zaka, ne parvient pas du tout à convaincre les lecteurs du Jump et sera finalement annulé sans connaître de fin (1984-1985). Dans cette oeuvre qu’il pensait comme l’exploration d’un autre aspect de son style de narration, KURUMADA n’utilisa pas d’attaque spéciale pour ses personnages. Et le public n’était pas désireux du tout de l’accompagner dans cette voie. Suite à cet échec d’Otoko Zaka, KURUMADA comprit qu’il devait à tout prix rebondir pour rester dans le top du Jump et décida alors de créer un hit pour sa prochaine histoire. C’est ainsi qu’est né Saint Seiya, sur la volonté de KURUMADA de ne pas mourir (d’un point de vue professionnel).

Le Maître contre-attaque

Lors de ses prémisses, Saint Seiya ne devait être qu’un simple manga de karaté où les protagonistes seraient dotés d’une force capable de lancer des étincelles. Ils étaient alors revêtus d’habits de protection car le corps humain était trop fragile pour de tels dommages. Mais après de multiples réunions et réflexions, le concept de Saint Seiya tel que nous le connaissons fut finalement lancé dans le numéro 01 du Weekly Shonen Jump de 1986, publié le 3 décembre 1985.

Pour assurer le succès, KURUMADA réunira tous les éléments qui ont fait le succès de Ring ni Kakero et Fuma no Kojiro : un groupe de jeunes garçons avec à leur tête un héros impétueux « hard-boiled » et « hot-blooded », une ambiance nekketsu, une constante recherche de dépassement de soi, des évocations mythologiques ou religieuses, des artefacts spéciaux et des intrigues à la fois linéaires mais prenantes…

De plus, il va s’essayer – avec succès –  au mix produits/revenus sur cette œuvre : persuadé du potentiel mercantile des armures présentes dans l’œuvre et rassuré par l’adaptation animée proposée par la TOEI (il pleura de joie quand il apprit que Shingo ARAKI serait character designer et directeur de l’animation sur la série), il obligera BanDai à signer un contrat d’exclusivité pour une gamme des jouets articulés. Le succès est tel que c’est cette série qui est choisie par le Shonen Jump pour offrir une adaptation cinématographique dans le but de célébrer les 20 ans du magazine (le fameux film Abel).

Revenons d’ailleurs sur ces considérations mercantiles : c’est vraiment KURUMADA qui chez Jump a inventé ce que les Japonais appellent « la voie royale », c’est à dire penser une œuvre pour le mediamix (jouer sur tous les tableaux pour une oeuvre de création). En créant Saint Seiya, il avait déjà en tête le merchandising et l’adaptation animée en tête : l’œuvre a été pensée pour ça (d’où les fameux schémas d’armures en fin de chapitre, visant à annoncer la possible commercialisation d’une figurine). KURUMADA revêt ainsi une importance capitale dans l’évolution du business model du Shônen Jump.

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Une légende prétend que BanDai appelle cette gamme « Kouyanor » 😀

Revers de la médaille de ce succès, une cadence infernale sur 5 ans et une usure physique (ses doigts ont pris très cher) et mentale (plus d’envie et plus beaucoup d’idées) pour livrer les planches en temps et en heure. La série TV s’arrête en 1989 avec le chapitre Poséidon après des saisons Asgard et Poséidon en demi-teinte niveau audiences mais on parle quand même d’un retour rapide avec l’adaptation du chapitre Hadès, un Image Album (CD avec musiques et drama) est même édité avec un message d’adieu à ses personnages de la part de KURUMADA. Mais la TOEI n’y croit plus et le décès de l’un des pontes du studio – Yoshifumi HATANO, fervent supporter de la franchise, aboutit à la suspension sine die de la franchise. Usé, KURUMADA arrête son manga avec Hadès, se jurant de ne revenir à la suite que lorsqu’il aurait réuni toutes les conditions pour proposer une apothéose digne de ce nom pour la partie Olympe. Saint Seiya et KURUMADA vont alors traverser les années 90 dans une relative indifférence.

Le revival de 2002 – le réveil de la Force (?)

Au cœur de l’été 2002, on apprend subrepticement que les Chevaliers d’Athéna reviennent : le chapitre Hadès va être adapté. La TOEI reforme la dream team et confie, à la demande expresse de Masami KURUMADA, la réalisation des épisodes-clé à Shigeyasu YAMAUCHI. Depuis Abel, KURUMADA apprécie en effet beaucoup le travail de YAMAUCHI. En 2003, il confiera même en interview : « Je ne vois pas le futur de Saint Seiya sans lui » et placera tous ses espoirs en lui lorsque l’adaptation en anime de Ring ni Kakero sera officialisée (YAMAUCHI réalisera même le pilote de RnK). BanDai se joint à la partie et lance très vite une nouvelle gamme de figurines, les Saint Cloth Myth qui s’écoulent comme des petits pains. La saison 1 (Jûnikyû-hen) est un succès critique et d’audience. Et là, c’est le drame, la TOEI décide de précipiter les événements !

La faillite du Tenkai-hen Jôsô – le dernier jet d’art

(Le point de non-retour)

‘Alors cette vieille licence qu’on n’aime pas vraiment peut nous rapporter de l’argent ? Il y a vraiment un public pour cela ? Eh bien, profitons-en vite !’

C’est en substance ce que dit le studio TOEI au milieu de l’année 2003, qui passe commande pour un film prévu pour la Saint-Valentin 2004 (donc à peine 9 mois), se déroulant après Hadès et mettant en scène la romance Saori-Seiya.

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KURUMADA est d’abord inquiet : pour lui, sortir un film sans avoir fini les OAV d’Hadès était un peu précipité. Mais vu que le studio voulait sortir un film coûte que coûte, il a finalement estimé que ça serait là l’occasion d’offrir aux fans la suite officielle sans avoir à reprendre le manga immédiatement.

Le film va connaître un véritable enfer de développement : sans autre base de travail que les quelques trames scénaristiques données par KURUMADA, le scénario est remanié de nombreuses fois afin d’essayer de contenter les exigences contradictoires du studio et du réalisateur en chef (YAMAUCHI), désireux d’imposer sa vision. La scénariste Michiko YOKOTE finira d’ailleurs par claquer la porte en pleine production. Apprenant cela, KURUMADA propose à YAMAUCHI de rédiger un scénario plus consistant, proposition qu’il décline poliment assurant à l’auteur que tout est sous contrôle. Le retard s’accumule et c’est avec beaucoup de stress et de pression qu’ARAKI et HIMENO confectionnent les dessins du futur film car ils n’étaient même pas certains du déroulement du scénario. Les relations entre les créatifs se tendent avant l’avant-première : on sait que le film ne sera pas finalisé à 100% et que des retouches auront encore lieu après la diffusion.

Pour le dire poliment, le film peine à trouver son public sur le sol japonais. En réalité, on peut même parler de bide commercial et critique au pays du soleil levant : les fans nippons trouvent le film trop contemplatif et nébuleux dans sa narration, au point d’en devenir ennuyeux voire ennuyant et même embarrassant par moments (des éclats de rire ont fusé lors de l’avant-première lors de la scène où Seiya et Saori se retrouvent nus devant Apollon).

TOEI n’a franchement pas poussé la promotion de ce film. Au delà du fait qu’il n’a été diffusé que dans 50 salles dans tout le Japon (preuve de l’inconfort du studio), le film d’époque de One Piece était sorti quasiment en même temps et a bien plus bénéficié de la force marketing du studio face notamment à la sortie à la même période du tentpole Le Retour du Roi de Peter Jackson.

KURUMADA qui découvre le film à sa sortie en même temps que le public, est également déçu : il déplore le manque de rythme du film et l’oubli de nombreuses requêtes qu’il avait soumises à la production du film. Il ne voit pas comment écrire une suite sur la base de ce film.

YAMAUCHI, déjà en délicatesse avec la TOEI pour des prises de liberté par rapport aux méthodes de travail du studio, se retrouve mis à l’écart par le studio, qu’il décide ensuite de quitter aux alentours de 2006 pour devenir réalisateur freelance. La rumeur prétend que ce serait KURUMADA en personne qui aurait exigé son renvoi, mais cela n’est ni sourcé, ni documenté, ni même vraisemblable eu égard aux relations qu’entretenaient les deux personnages et le très mince pouvoir politique des mangaka face aux studios.

L’échec du film va entraîner le retrait du sponsor Bandai (qui continuera malgré tout à exploiter la licence à travers de nombreux produits dérivés, pas folle l’abeille). 2005 marque en effet le début d’une crise de financement qui a touché tout le secteur de l’animation, les sponsors ne voulant plus investir sur un anime sans être certain du succès.

La mise en scène minimaliste des OAVs Meikai-hen et Elysion-hen (2006 à 2008), découle directement d’un budget qui se révèle être très insuffisant: 4 ou 5 animateurs sont planifiés par épisode alors qu’un épisode lambda de la saison Jûnikyû-hen pouvait atteindre une vingtaine.

En coulisses, les langues se délient et la TOEI en panique se met à consulter les courriers des fans: dès l’annonce du revival en 2002, certains fans japonais  (pas nombreux mais extrêmement virulents) se sont plaints des voix de Suzuoki HIROTAKA (Shiryû) et Ryô HORIKAWA (Shun) qui, selon eux, auraient trop vieilli et n’étaient plus crédibles pour interoréter des adolescents : « Jusqu’à quel âge vous comptez faire doubler des personnages adolescents par des quinquagénaires ? », pouvait-on lire dans le courrier des fans mécontents.
Le problème avait été abordé en interne, et Tôru FURUYA (Seiya) s’était montré rassurant et persuasif : « SVP, laissez les comédiens originaux continuer à doubler ces personnages, qu’ils connaissent sur le bout des doigts ».
TOEI et KURUMADA ont accepté, mais rebelote après le flop du Tenkai-hen Jôsô : exactement les mêmes retours négatifs.
Cette fois, il ne peut ignorer ces récriminations, principalement préoccupé pour Shun, censé être d’une pureté angélique. Il en parle ouvertement à FURUYA, lui proposant de le nommer directeur de plateau et de le laisser choisir lui-même les remplaçants. FURUYA a alors refusé catégoriquement, prétextant que ça créerait une ambiance détestable entre les nouveaux et les anciens comédiens.

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« Je t’en prie, reste ! Il y a tellement d’aventures qui attendent encore Seiya ! »

D’autres comédiens s’en sont alors mêlés et ont pris parti par solidarité, dont Mami KOYAMA (Shaina), l’ex-femme de FURUYA. On était clairement dans une impasse, ce que FURUYA semblait avoir compris, et à la fin c’est TOEI, excédée, qui a tranché et viré tout le monde en 2005 (sachant encore une fois que c’est exactement ce qu’ils voulaient faire depuis le début du revival).

Bref, un royal plantage aux conséquences dantesques que ce film au Japon (qui marque donc le point de non-retour pour la franchise), qui gagne pourtant un succès d’estime en dehors des frontières de l’archipel – notamment en France.

Naissance du bashing français – l’attaque des clowns

En effet, en France, Saint Seiya, c’est avant tout voire exclusivement les œuvres animées du Club Dorothée. On se fout presque complètement du manga, dont la commercialisation en France ne débuta qu’en 1997 (avec le choc pour les fans de découvrir le style vieillot du mangaka). La prééminence de l’anime (bien compréhensible tellement il a réuni la quintessence de l’animation nippone des années 80) sur le manga ira jusqu’au complet rejet de ce dernier pour bien des amateurs des Chevaliers du Zodiaque.

De plus à cette époque (2004), difficile de trouver des informations fiables depuis le Japon. La référence francophone à l’époque était le site cyna.net, né de la passion d’un immense fan de la franchise – Naoki. C’est sur ce site que Naoki publia des articles aussi précis que documentés sur les participants à la création magique de Saint Seiya, c’est ainsi qu’il hébergera la pépite Burning Blood d’Arion, ce dernier partageant la même passion « staffophile » (oui je sais, ce mot n’existe pas mais vous avez compris l’idée :D). Leur collaboration donnera ainsi naissance à EnCyna, la première véritable encyclopédie du staff ayant participé aux œuvres de KURUMADA en général et de Saint Seiya en particulier. Bref, je n’exagère pas du tout en parlant de référence, un travail collectif et collaboratif, dont chacun des participants n’a sûrement pas à rougir.

Le webmestre assure via son blog puis sur son forum la propagation de news arrivant du Japon autour de la franchise. Début 2005, l’ambiance sur le forum devient vite étouffante voire insupportable pour plusieurs membres (dont l’auteur de ces lignes), qui décident de s’en aller (on va même jusqu’à parler de schisme). C’est dans ce contexte délétère que Naoki apprend la mise à l’écart de YAMAUCHI puis le remplacement du cast : son sang ne fait qu’un tour et c’est alors qu’il déchaîne une campagne de dénigrement dans les pages de son blog à force de relais de rumeurs non documentées et/ou d’articles biaisés et autres commentaires à charge contre KURUMADA. Mais osef, personne ne peut lui apporter de contradiction en France, jouissant d’une prédominance marquée dans le fandom.

Ainsi, on aura droit d’abord à un démontage de la carrière du mangaka : comment un tel tâcheron, qui n’avait jamais rien prouvé auparavant, a pu pondre un chef d’œuvre comme Saint Seiya ? Tout simplement parce qu’il n’en est pas l’auteur d’après lui, oblitérant sciemment tout le parcours récapitulé plus haut. De même, si les OAVs Meikai-hen et Elysion-hen sont si pourris, c’est à cause des exigences de KURUMADA sur le cast et la réalisation, omettant volontairement de rappeler que tout cela provient de l’échec total de son film chéri qui a entraîné toute la spirale d’échecs subséquents.

De même, lorsqu’une vieille vidéo est exhumée où l’on voit KURUMADA sortir d’une Merco en costard de yakuza puis présenter sa team d’assistants qui souffrent devant leur planche à dessin, Naoki s’en sert auprès des Jean-Michel-Premier-Degré comme illustration du propos selon lequel KURUMADA n’est qu’un fainéant qui ne dessine pas du tout et qui se prend pour un boss. En mettant de côté tout le caractère second degré de cette vidéo : KURUMADA adore les histoires de luttes claniques et les polars noirs d’après-guerre, ainsi la trilogie du Parrain figure au panthéon de ses œuvres préférées. Cette mise en scène comique (bonus d’une VHS de présentation de son atelier) devait servir à illustrer que certes il avait réussi dans le milieu mais qu’il ne se prend pas au sérieux pour autant et que son succès est dû à un collectif qui travaille intensément.

Et pointons du doigt la contradiction des bashers : « Kurumada ne sait pas dessiner, regardez à quel point c’est moche ! » versus « Kurumada dessine pas ce sont ses assistants qui font tout ! » Donc ce sont les assistants qui dessinent mal, pour eux  ? Rappelons également cette évidence :  tous les mangaka ont un studio et des assistants (qu’ils paient directement de leurs poches la plupart du temps!) mais bizarrement pour les haters, il n’y a que pour KURUMADA que ça pose « problème ».

Autre sujet foiré, KURUMADA révèle dans une interview qu’il accorde beaucoup d’importance aux nemu et qu’il dédie toute une pièce dans son atelier, la « nemu no room » pour réfléchir seul à ce sujet. (Rappel : un nemu est l’esquisse d’une histoire en manga, étape précédant le crayonné de la planche). Le même Naoki traduit de manière foireuse (ou pire de manière complètement volontaire) le terme en « name no room », la chambre des noms ! « OH HO HO c rigolo, KURUMADA il a besoin de s’isoler dans une pièce pour réfléchir aux noms qu’il va donner à ses persos, c’est vraiment qu’un gros connard, il a rien à faire dans l’univers des manga », c’est en substance tout ce qui sera retenu de cette interview en France, alors qu’elle insistait sur la mise en page – l’un des points d’attention forts du style KURUMADA. Par la suite, refusant de reconnaître son erreur de traduction, Naoki et les suiveurs post-schisme affirmeront même que nemu était en fait une déclinaison/contraction du verbe 眠る (nemuru- dormir), et que KURUMADA partait ainsi s’isoler pour faire la sieste pendant que ses assistants se tapaient tout le boulot à sa place, preuve irréfutable que le gars est un gros branleur !

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Du sumo, de la bière… le bonheur !

Enfin, on en vient aux attaques personnelles sur son mode de vie : un fan de catch/sumo porté sur la boisson ne peut pas être à l’origine d’une œuvre aussi référencée que Saint Seiya, quand même… Bah si ! D’une part, ce n’est en rien contradictoire, d’autre part il a fait preuve dans ses succès précédents (vous savez, ce qu’il a produit avant Saint Seiya et qu’on oublie avantageusement au moment de le dézinguer) d’une culture et d’un attrait aux références assez marqués. Quand il était étudiant, il était connu pour embrasser un champ littéraire impressionnant (il a choisi d’être mangaka, alors qu’il était destiné aux grandes écoles), capable de citer les poètes classiques chinois aussi bien que des références occidentales aussi pointues que Heine ! De plus, c’est le catch qui lui a donné l’idée de combattant qui prennent des poses stylisées au moment de déployer leur attaque en gueulant le nom de cette attaque, si possible en anglais !

Mais on ne saurait remettre toute la faute de cette campagne de dénigrement sur le dos d’un seul fan, aussi malintentionné soit-il. Le site collaboratif Cyna restera une référence absolue pour les staffophiles (aidez-moi à trouver un vrai nom) et les amoureux de la franchise, malgré les errements haineux d’un éconduit de la série qu’il aimait (et aime encore ?). Et ce serait très vite là oublier que, pour qu’une fake news tienne et prospère, il faut qu’elle soit relayée, ce qui implique des gens susceptibles de la recevoir, de la nourrir et de la propager.

La fanbase française ne demandait pas mieux que de trouver un bouc émissaire pour exorciser sa déception et sa frustration devant le revival de la franchise. Et pour ainsi dire, cette haine n’est partagée que dans nos contrées (un temps partagée par l’Amérique du Sud avant qu’elle n’obtienne des relais d’information directement du Japon qui lui permirent de recontextualiser ). Le fandom français restait de toute façon globalement hermétique aux interviews de « l’idiot du village », comme surnommé par le fondateur de Cyna (Ce n’est que bien plus tard, essentiellement grâce aux nombreuses traductions sur SaintSeiyaPedia d’Archange – un fan français vivant au Japon, et aux connaissances linguistiques et culturelles solides – qu’on a pu découvrir un homme cultivé, passionné et passionnant).

Le pli est désormais pris, y compris dans la presse spécialisée, qui trop souvent et sans doute trop complaisamment relaiera les fake news instillées par les haineux du forum Cyna (post-schisme) au moment d’introduire chaque nouveauté de la franchise en rappelant à quel point KURUMADA, c’est le cancer (cela mériterait un autre article, mais ici je vais m’attarder sur le cas symptomatique de The Lost Canvas).

Le cas The Lost Canvas – Un nouvel espoir ?

Parmi les amateurs de The Lost Canvas, on trouve des personnes qui découvrent la franchise par cette oeuvre. Ils se renseignent alors sur Internet pour savoir d’où provient ce manga génial et qui est ce Masami KURUMADA crédité comme auteur de l’oeuvre originale. Et c’est le drame avec les fake news post-revival qui pullulent sur la toile, ce qui va former beaucoup de Kurumada-haters. Souvent, la critique est à base de « c’est bien mieux dessiné que son Next Daube, il est jaloux et déteste l’auteure, d’ailleurs c’est à cause de lui qu’il y a pas de saison 3, gros connard de mes couilles » (oui les gens sur les réseaux sociaux en général et Twitter en particulier sont pas très polis).

Au sujet de la génèse de l’œuvre et des relations entre TESHIROGI et KURUMADA, c’est encore l’intéressée qui en parle le mieux (interview donnée dans le cadre du Cartoonist Nice 2013, auquel j’ai assisté) :

 « Lorsque je suis devenue dessinatrice de manga, j’ai connu pas mal de galères mais finalement  j’ai enfin réussi à décrocher une série. A peu près au moment où le premier volume que j’ai dessiné est sorti, j’ai appris que M. Masami KURUMADA effectuait une séance de dédicaces à Tokyo. Donc bien évidemment je m’y suis rendue, vu que j’aimais beaucoup ce qu’il faisait, et au moment où c’était mon tour de passer, je lui ai offert mon volume en lui disant : « Tenez, je me permets de vous offrir mon livre parce que j’ai toujours rêvé de devenir dessinatrice de manga et vous êtes mon modèle ». Et à ce moment-là, il a fait un truc où j’ai eu un peu honte… Il a levé le livre en l’air et a dit à tout le monde : ‘Regardez cette fille, elle a fait un manga, il faut absolument l’encourager ! ‘

J’ai rencontré M. KURUMADA à cette occasion, où je lui ai donné mon livre et après je n’ai plus eu de contact avec lui. Deux-trois ans après, je reçois un coup de fil, et on me dit : ‘M. KURUMADA lance une nouvelle série de Saint Seiya, on voudrait que vous dessiniez le spin off et ça va s’appeler The Lost Canvas’. J’ai dit ‘Mais comment ça c’est moi ? Pourquoi est-ce que c’est moi, je sors de nulle part, et en plus vous ne me faites même pas passer une audition ?’. On m’a expliqué : ‘a priori M.KURUMADA avait lu votre bouquin, il a trouvé ça très bien et il a décidé que ce serait vous et personne d’autre’. Alors j’étais très surprise et en même temps ça me faisait très plaisir mais c’était assez inattendu, parce qu’à l’époque je n’étais personne, j’étais vraiment une débutante et grâce à ça j’ai eu le plaisir de travailler là-dessus et ça a changé ma vie. La preuve c’est qu’aujourd’hui j’ai pu venir ici grâce à The Lost Canvas. »

Donc non seulement il ne la déteste pas mais il est carrément son premier supporter dans la vraie vie ! Il l’appelle encore aujourd’hui affectueusement sa kôhai (後輩, jeune élève, protégée voire bras droit).

Pour rappel, The Lost Canvas est un projet lancé par KURUMADA himself en même temps que Next Dimension : il a toujours été prévu dès le début de réaliser deux histoires parallèles sur la Guerre Sainte du 18ème siècle. L’histoire principale serait confiée à un jeune auteur (The Lost Canvas donc) et l’autre serait l’occasion pour KURUMADA de remettre le pied à l’étrier avant d’attaquer un éventuel chapitre Olympe (tout ceci se passant dans une dimension parallèle, une « next dimension »). Par ailleurs, les deux histoires ont le même sous-titre : 冥王神話 (Meiō Shinwa- La légende d’Hadès). Les deux œuvres coexisteront mais ne feront pour ainsi dire jamais écho l’une à l’autre.

Nd_pres_02Image de promotion expliquant que Next Dimension, déjà commencé, et The Lost Canvas, sur le point de débuter, sont des oeuvres en multi-angle. Shûkan Shônen Champion 38 (sorti le 17 août).
Promotion officielle du lancement de The Lost Canvas en, tant que vision alternative de la Guerre Sainte du XVIIIème siècle

On ne peut donc soupçonner KURUMADA d’antipathie à l’égard de The Lost Canvas, puisque l’idée vient de lui (il laissera toute latitude à la jeune TESHIROGI pour le développement de l’histoire, ne lui imposant que les personnages de Tenma et Alone). Il se permettra d’intercéder en sa faveur au moment de l’adaptation animée en 2009, indiquant nettement préférer l’approche qualitative de la TMS plutôt qu’un développement erratique façon TOEI (les séquelles du fiasco Tenkai-hen sont encore vives) : une série TV a été dans un premier temps envisagée mais la TMS a choisi des OAVs pour assurer une meilleure qualité technique.
Un opening en anglais est même créé car pour la première fois, une œuvre animée de la franchise est pensée pour satisfaire plusieurs publics. Quant à l’ending, les paroles sont signées de… Masami KURUMADA (preuve de tout l’espoir qu’il plaçait en cette adaptation).

Malheureusement, contrairement au dicton, abondance de bien peut nuire : la série TMS, de très grande qualité, coûte excessivement cher à produire et la vente des DVD/Blu-ray est loin d’être satisfaisante. Une analyse rapide expose des raisons différentes selon les marchés : les Japonais n’adhèrent que moyennement à du Saint Seiya qui ne provient pas de la TOEI, le marché étranger voit son public bouder des Blu-ray très chers (prix japonais) alors que le téléchargement illégal fait florès. Contrairement au chapitre Hadès chez la TOEI, il s’agissait des vraies OAVs sans support TV ! De plus, la promo semble avoir été très minime, ce qui suggère une maladresse voire une erreur de stratégie commerciale de TMS pour cette série, en voulant attirer les fans de Saint Seiya en premier lieu plutôt que d’attirer un nouveau public. Devant la quasi-banqueroute, la TMS choisit d’arrêter la production de la série au bout de deux saisons.

Oui, vous avez bien lu, c’est le studio qui a choisi d’arrêter car il perdait de l’argent. Donc ce n’est pas la faute de KURUMADA, de la CIA ou des Illuminati reptiliens. C’est de ta faute à toi, public radin et pas fiable, si la série a été arrêtée.

Conclusion

Comme bien trop souvent, la haine tire son origine de l’ignorance. KURUMADA n’est certes pas un génie absolu ni exempt de défauts sur son art mais il est bel et bien le créateur de l’univers Saint Seiya et ne mérite pas tout le tombereau de merde que les fans français lui balancent à la gueule.

Et plutôt que relayer des analyses bancales, partisanes et infondées sur son œuvre, mieux aurait valu creuser l’historique de mensonges colportés par des marchands de seum.

Car la conclusion de mon analyse, c’est que vous ne pouvez pas à la fois prétendre aimer Saint Seiya et honnir Masami KURUMADA : faites le point sur vos préjugés et repensez votre approche vis-à-vis de l’auteur et de son oeuvre si vous ne voulez pas être compris dans la f(r)ange la plus toxique du fandom.

Remerciements aux relecteurs de ce texte
Big up à George Lucas, autre créateur d’univers dépassé par les fans de son oeuvre et à qui cet article rend hommage tant sur le fond que sur la forme ^^

Sources (ou pour aller plus loin)

Le site officiel de Masami Kurumada
SaintSeiyaPedia – Plusieurs interviews officielles traduites en français par Archange
Interview de Kurumada dans Burning Blood, le blog d’Arion
Première interview de Shiori Teshirogi au Cartoonist de Nice 2013 sur Manga News
Deuxième interview de Shiori Teshirogi au Cartoonist de Nice 2013 sur Journal du Japon
Livre : JUMP – L’âge d’or du manga (par Hiroki Goto, traduit en français par Julie Seta)
Manga : Ai no Jidai, autobiographie de sa jeunesse par Kurumada
Video : retour sur la lettre envoyée par Toriyama à Kurumada

 

 

10 réflexions au sujet de « Le Kurumada-bashing, une malheureuse spécificité française »

  1. Si on veut de l’information sur les voitures Toyota on a toutes les infos du constructeur adaptées pour le marché francophone. De même pour les grands studios d’Hollywood.

    Si les entreprises japonaises de dessins animés et mangas faisaient de même on aurait pas eu tous ces dégâts.

    Bref : pourquoi n’y a-t-il pas de site internet officiel par Kurumada de « Saint Seiya » en français, espagnol, portugais, anglais ? Pas de présence officielle sur les réseaux sociaux ? J’arrive pas à comprendre comment ils conçoivent l’internationalisation de leurs produits. Cette brèche est parfaite pour les dérives que l’article dénonce.

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    1. Jusqu’à récemment, il n’y avait pas (sinon peu) d’internationalisation des produits culturels japonais : les anime étaient destinés exclusivement au marché intérieur et si ça marchait à l’extérieur, tant mieux, c’est du bonus !
      Ce n’est qu’à l’aube des années 2000 avec le carton mondial Pokemon et le succès de DBZ aux Etats-Unis qu’ont émergé des stratégies internationales… mais réservées à des mastodontes de l’animation (il y a notamment l’initiative « Cool Japan » pour les JO à Tokyo qui consiste à jouer à fond la carte du soft power via les anime phares).
      Saint Seiya, bien que jouissant d’une aura certaine en Europe et en Amérique du Sud, a quelque peu raté ce tournant : l’auteur (Masami Kurumada) n’est pas friand des réseaux sociaux (il n’en voit pas l’intérêt dans la mesure où il tient à jour un site/blog d’actualités sur ses oeuvres et ne souhaite pas disperser sa communication en raison de ses problèmes de santé) et le studio Toei ne conçoit pas la franchise comme un hit monumental (elle est loin derrière les mastodontes One Piece ou Dragon Ball).

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  2. Super article qui remet les pendules a leurs place! ☺
    C’est vrai que je suivais les post sur le forum cyna machin. Mon esprit ouvert à la critique au depart (je suis fan de Saint Seiya et admiratif du génie dramaturgique de son auteur et même de son inventivité visuelle), et les diatribes de son fondateur m’avaient rapidement chauffé la couenne,

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  3. Oups, fausse manip, je termine ☺.
    Bref, on peut garder l’esprit critique sur une œuvre qu’on aime sans pour autant sombrer dans le vomitif comme ce naoki devenu, au fil des ans et des posts, un insupportable corbeau.
    Merci de cette recontextualisation méritée, Kurumada est un auteur méritoire et je prie pour ses doigts (je ne savais pas), je commrends mieux la lenteur de parution de Next Dimension.

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